et il est difficile d’expliquer combien cela me réjouit
et combien cela me suffit
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il suffit d’exister pour être complet
.
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Alberto Caeiro, poèmes désassemblés
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un bloc
un bloc qui chante
sous l’eau, dans l’eau, dans cette pièce plongée dans le noir
dans une boite de pétri géante vidéoprojetée,
un morceau de terre se décompose, plus ou moins vite, en chantant plus ou moins fort
un morceau de terre se décompose – morceau de kaolinite ou de terre sablonneuse, morceau de limon peut-être – un morceau de terre, pour ce que j’en sais… et toi tu regardes ça,
un morceau de terre se décompose – morceau de kaolinite ou de terre sablonneuse, morceau de limons peut-être – et toi tu nous montres ça. Tu nous le fait entendre.
Et on voit les bulles, les petites bulles qui remontent, parfois les grosses bulles, et on voit le friselis des petites bulles à la surface de l’eau,
on voit, on entend,
on prend le temps de voir, d’écouter, la manière singulière dont chacun s’effondre, paisiblement ou par à coups.
ça ne dit rien. ça ouvre juste un espace-temps pour côtoyer ça, l’entropie, la désagrégation.
ce n’est pas triste, ce n’est pas joyeux, c’est.
exact.
tranquille.
Horizon B, 2018, vidéo et plexiglas
ici une vidéo (bien sûr c’est beaucoup mieux à voir en vrai et en grand et avec un son immersif, mais tout de même) <3
mercredi, faire-pont… je n’ai toujours pas trouvé comment faire ces ponts… je me réveille la nuit en imaginant des formes, et le jour n’en fais rien. soit.
alors commencer par viser moins haut – en attendant d’éventuels ponts plus élaborés, voilà a minima une piste de joie à partager avec vous : des émissions autour des écrits et de la posture de Nathalie Quintane.
et, une fois admis que la littérature n’est pas condamnée à être là pour faire joli, ici une analyse bricolée-main de quelques unes de ses stratégies formelles
Je dois avouer que cette séparation nette, voire tranchée, entre contre-culture et sous-culture me fait tiquer – peut-être parce que je suis assez tatillonne en ce qui concerne les prépositions (sous n’a pas la même connotation que contre). Et puis, plutôt que de visualiser un contre (culturel) descendant du ciel des idées jusque sur le bitume non entretenu des cités, je le pressens pousser de cette fameuse « sous »-culture, et s’en dégager, moins triomphalement qu’un GI Joe jailli d’une Jeep ou qu’un Panther protestant gant au poing – pourtant solide, parce qu’ancré dans un territoire bien réel, et symbolique : c’est le travail de toute culture, qu’elle soit contre ou sous, que de fabriquer du symbole. C’est tout de même troublant qu’on ait éprouvé la nécessité de diviser la culture populaire en deux, histoire d’introduire un sous là où auparavant il n’y avait qu’un contre – en tout cas moi, ça me trouble.
N. Quintane, Les années 10
(je ne l’ai pas lu encore, j’ai grapillé l’extrait sur internet parce qu’il me semblait donner une idée de l’écriture de N. Quintane – à la fois précise dans ses questionnements, située, éthique/politique dans ses enjeux, et imagée, parfois drôle)
un novembre de solitude et de déconnexion, de recentrement et d’hibernation – l’occasion rêvée de lire enfin ce que vous m’aviez recommandé… (depuis longtemps, je ne lisais plus beaucoup, trouvant tout juste assez de disponibilité mentale pour vivre)
J’ai une chance incroyable… Une amie m’avait offert il y a longtemps dans la forêt, de Jean Hegland. Une amie m’avait prêté libration, Becky Chambers. j’avais récupéré au pilon d’une biblio le voile noir de Annie Duperey. j’ai dégotté à la bibliothèque En finir avec Eddy Bellegueule, de Edouard Louis, Idaho de Emily Ruskovich, Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, La mémoire et les jours de Charlotte Delbo, Mon bison de Gaya Wisniewski, La petite casserole d’Anatole de Isabelle Carrier, et l’écriture ou la vie de Jorge Semprun.
Conditions nobles et ignobles, de Stanley Cavell, je me l’étais acheté dès qu’il était paru en poche, il y a dix ans : c’était un des ouvrages important pour la rédaction de mon Master, et à l’époque j’étais moins pingre que maintenant (ou je galérais moins ?). Cette fois-ci, je n’en ai (rerere)lu que l’intro, qui s’appelle « tenir le cap« . ça a été un texte fondateur pour moi. je vois bien que je ne suis plus exactement au même endroit qu’alors, mais ça reste un texte qui me répare à certains endroits… (j’ai mis la couverture de l’exemplaire sur lequel j’avais bossé, puis sur les photocopies duquel j’avais bossé : celui de la bibliothèque universitaire, puisqu’il n’existait pas encore en poche)
j’avais dégotté il y a quelques mois L’art de perdre, de Alice Zeniter en occasion, et je m’étais acheté – neuf – Stone Butch Blues, de Leslie Feinberg.
bon… ploum ploum… je vais tenter de trouver une formule plus satisfaisante que cette longue énumération… j’aimerais bien partager avec vous ce qui m’anime, mais je sais pas encore comment…
je suis pas certain de voir l’intérêt de vous raconter ce que je pense de chaque… si je le fais vite-fait, ce sera très prévisible : j’aime environ ce que les gens de-classe-moyenne intellos de-gauche élevés-en-france minorisés-du-genre privilégiés-du-fait-de-leur-couleur-de-peau aiment, et j’en pense les trucs de circonstance, déjà amplement développés ailleurs…
…alors je suppose qu’il faudrait que je trouve un petit protocole de partage sur mesure (ouh ! miam miam ! un petit protocole !)… ou juste arrêter… je sais pas encore…
spirales de paroles
une autre manière de prendre des notes…
dans des situations sociales sensément participatives, noter qui parle, combien de temps, en s’adressant à qui…
rendre visible ces processus m’a permis de mettre des mots des formes sur un malaise qui persistait…
(vous pouvez essayer, c’est assez drôle, assez efficace pour transformer une situation d’ennui profond en expérience captivante : il suffit de noter les personnes présentes et ce qui semble pertinent – dans le cas de ces relevés, l’age et le genre – et de faire tourner le crayon autour de chaque point tant que la personne parle. quand la parole suivante est en réponse à une adresse, on ne lève pas le crayon, ce qui fait un trait vers le prochain rond qui se constitue – à vous de jouer !)
au milieu un peu en haut, il y a une sculpture, peut-être de pierre, peut-être médiévale, d’un homme barbu qui semble saluer quand on ouvre oh quand on ouvre, il y a des pages blanches, ou presque, des pages où juste figure BATIA SUTER tout en haut à droite, ou PARALLEL ENCYCLOPEDIA tout en haut à droite et ROMA PUBLICATION 100 tout en bas à droite. Parfois aussi des pages vides vides, comme le silence avant un spectacle, comme le recueillement avant un rite.
Et alors ça commence. Après une double page de spirales etc, tu disposes, côte à côte sur la double page, les images accompagnées des légendes suivantes_: 31 Der Aquidensitenfilm – Mittel wissenschaftlicher Forschung; Originalaufname eines Kometen und ihre Aquidensiten erster (Mitte) und zweiter Ordnung (unten) Buigingsringen van electronen die door een dun zilverfolie heendringen, en die het golfkarakter der materie demonstreren. Golflengte van de electronen 0,06 AE EEN GROEP. DIATOMEEN Elk van dese microscopische planten, hoe klein ook, is fijn gesneden, en iedeie soort heeft haar eigen patroon. Wij zien ze hier zestigmaal vergroot. Men kan er verscheidene van vinden, nog sterker vergroot, op andere bladzijden. Plagiobrissus grandis, na verwijdering van de stekels om de knobbels te laten zien (1/3 x ware grotte). 2 Ernst Haeckel, Abbildung aus_: > Kunstformen der Natur<, 1899 Tafel 4 – Triceratium RMA RESOLUTION CHART 1946
on dirait des comètes on dirait des micro-organismes on dirait un squelette d’oursin on dirait la diffusion radiale de quelque chose dans quelque chose on dirait la mire de la télévision. Et tout ça comporte, à des degrés divers, du concentrique et du radial. C’est en noir et blanc, il n’y a que le noir et le blanc et quelques indications que je ne peux pas comprendre (on dirait de l’allemand et du hollandais). Il n’y a que peu d’indices, mais tu as mis ces choses sur cette double page, et je ne peux pas douter que tu l’aies fait exactement, minutieusement. Quelque chose que je ne comprends pas me dit que c’est exact.
On voit le minéral, le vivant et l’artefact, et on se dit_: c’est pareil. Là, ça fait pareil, d’une manière, ça fait pareil.
On tourne la page pour reprendre son souffle. C’est pareil encore, mais pas tout à fait. C’est plus fluide. Comme des explosions, des coraux, des turbulences.
On tourne la page pour calmer l’enthousiasme délirant qui monte : sur la page de droite (non, c’est celle de gauche, je suis déjà dans l’ensemble) : une planète, une planète, une planète, une planète, une planète, une planète ; sur la page de droite : une planente (non, platene, non planète – les mots échappent, autre chose se joue mais quoi ?), un crane de mammouth un gobelet en plastique un squelette d’oursin vu du dessus un squelette d’oursin vu du dessus un squelette d’oursin vu de coté
beaucoup plus loin – p 255, des espaces carrés, des jeux de perspective puis des chevaux dessins de chevaux Buster Keaton sur son tout petit cheval qui rappelle le jeu de perspective de la page précédente, des messieurs numérotés sur des chevaux devant un wagon de train UNION PACIFIC, un monsieur médiéval sur une monture qui est peut-être un cheval
rien là d’une leçon, rien là de magistral, rien là d’imposé juste mettre côte à côte et montrer, présenter, rendre présent des liens
pour tous ces liens que ça fait, qui sont précis mais ne passent pas par des mots, qui ouvrent des portes que je ne saurais nommer à des endroit que je ne saurais nommer – merci, Batia Suter, pour ta Parallel Encyclopedia
est-ce que je peux commencer par des récits anodins comme ça, sans donner à voir d’emblée la superstructure de contrôle et de classification des humains ?
> Yep. c’est exactement comme ça que tu vis, figure-toi : des mondes parallèles, dont on ne perçoit combien ils sont maintenus imperméables que quand on tente de dévier.
Je me demande ce que ça fait d’être Pando / de vivre dans l’Utah / d’être parcouru d’herbes, d’écureuils, d’escargots, de chenilles / depuis peut-être 80 000 ans
d’être né d’une graine / d’avoir une racine mère / de se propager en envoyant des pousses souterraines / qui émergent pour devenir des arbres
de vivre au milieu d’une foret / de milliers d’arbres clones / reliés par leurs racines
et de n’avoir / sur 43 ha / aucun alter ego.
Comment fait-on de la place pour un alter ego quand on est une colonie clonale de Populus tremuloides ?
Ce texte est un extrait de Fixette(s), contribution en ligne (avec Marine di Paolo) à la revue de poésie Ce qui Secret. La planche dans son entier est visible ici : https://www.cequisecret.net/node/385.
Féminiser un texte, dans notre monde, ne peut pas être neutre, alors comment je fais avec ce texte ? (Le Toss 808, écrit au masculin il y a des années, et qui confronte deux modes de vie – deux peuples, pour ainsi dire)
Si le discours est émis depuis le féminin, et que le sujet du texte reste masculin, on dirait que c’est féminin vs masculin – on revient à un truc un peu essentialiste au lieu d’être une question éthique, politique, de mode de vie (de plus, hypothèse peu solide : on ne traduit pas un texte en genrant chaque peuple comme il l’entend, on traduit un texte en suivant le genrage de ce peuple, pour lui et pour ce dont il parle).
Si je met le peuple dont il est question, les evguènes, au féminin, on dirait que c’est misogyne. Ce sont les mêmes mots, exactement, mais leur sens change… n’est-ce pas à ça qu’on s’est habitué ? Entendre les mots, une fois féminisés, se tourner en insultes, en soupçon (de ridicule ou d’impureté) ?
Ou alors je fais marche arrière, je ne commence pas d’emblée par ça. j’abandonne l’idée de démasculiniser. Je reviens au masculin partout (ce qui m’épargne aussi la note)… je ne sais pas…
Ces questions, on les découvre, les redécouvre en marchant. Si on les voyait avant, on n’aurait pas le courage de commencer peut-être. C’est le moment où on voit bien qu’on arrivera nulle part, que la langue est trop traversée par les dominations. Et que même quand on veut les désamorcer, elles jouent encore en nous, dans nos impressions les plus intimes face à tel mot, telle expression, et sa résonance au masculin ou au féminin. Comme en novlangue, il y a des choses qu’il est presque impossible de dire ou de penser – des femmes justes, exigeantes, courageuses dans un sens qui ne soit pas subordonné aux buts d’un homme, ou du soin en général
Il s’agit donc de décider – pour cette fois et dans ces circonstances (envoi aujourd’hui) – si je garde ou non cette hypothèse de tout féminiser… Ce que ça change, pour rappel :
implique de faire une note à ce sujet, une N D Traduction
pose soupçon sur chaque mot, restreint angle. Ne semble plus parler de notre société, mais d’un peuple d’amazones bien lointain
… et à la fois, est ce que vraiment la seule solution à tout problème est de garder le masculin partout ? Sérieux ?
… et à la fois : tu veux vraiment affronter tous les défis à la fois , sérieux ?
… et à la fois : tu veux vraiment repousser cette question à « quand tu auras le temps ? »
… et à la fois : tu veux vraiment que tout toujours commence et termine chez toi par cette question ? Tu ne veux rien être d’autre que cette question de genre ?
Ok ok ok… on se calme. On va faire un tirage, et, quelle que soit la réponse, la suivre bêtement, de notre mieux mais sans excès de zèle. Oui ?
> une carte : le pendu à l’envers (donc debout!). Oui, excellent conseil : lâcher, sacrifier. Quoi que je choisisse, la misogynie intégrée à la langue fera toujours son travail de sape. Je n’ai donc pas à m’en préoccuper outre mesure. Faire mon boulot (qui pour l’instant n’est pas à cet endroit), et continuer à gruduler sur ce thème, chercher des stratégies pour s’attaquer précisément à ça. Oui ?
> ok, donc le choix me revient. Alors je dirais je repasse au masculin partout. Ce changement ne peut pas être fait au débotté. Et je ne veux pas que ce que je pointe concernant le monde qui est le notre soit possiblement désamorcé par la misogynie spontanée de notre langage. Rajouter une strate déroutante ne ferait que diluer, non ?
> et bien non, à 10h49 (j’avais fixé 10h50 pour cesser de tergiverser et prendre la solution la moins coûteuse en énergie – garder le masculin), je décide de continuer à avancer vers le féminin. À minima. Et oui ça posera des problèmes et des questions. Mais en fait ça va aller. Hop – au boulot !